Briser le cycle de la détresse et prévenir le suicide

Pour aider les intervenants à repérer les signes de détresse, mieux gérer les épisodes suicidaires et réduire les risques de récidive, Cécile Bardon et son équipe ont validé leur modèle du risque suicidaire chez les personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle. Une démarche qui soulève de nouvelles perspectives d’intervention.
Mieux vaut prévenir que mourir, c’est le thème de la 35e Semaine de prévention du suicide qui se déroule du 2 au 8 février. En matière de prévention, les personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle peuvent compter sur les travaux de Cécile Bardon. Son investissement est à la hauteur de l’enjeu.
Depuis plus de 10 ans, elle travaille à modéliser le risque suicidaire chez ces personnes. À partir du modèle qu’elle a élaboré, elle a aussi déployé un processus clinique pour estimer le risque et gérer l’épisode suicidaire. Le processus en question se nomme Autisme, déficience intellectuelle, suicide, mieux connu sous l’acronyme AUDIS. La chercheuse et son équipe terminent, à l’heure actuelle, un projet qui leur a permis de valider le modèle auprès de la population québécoise.
C’est auprès de 23 personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle, leurs intervenants et leurs proches que le projet s’est déroulé. Un parcours rempli d’embûches pour l’équipe qui a dû naviguer entre la pandémie, l’interruption des projets de recherche, la restructuration du réseau et le roulement de personnel. Si le nombre de participants fut moins élevé que ce que la chercheuse souhaitait, elle souligne que le modèle a été élaboré en tenant compte de la littérature scientifique internationale. « Le risque suicidaire chez ces personnes est un sujet bien documenté partout dans le monde. On était confiant d’être sur la bonne voie », précise-t-elle.
Bien que le modèle ressemble à sa version initiale, les résultats du projet ont tout de même permis à l’équipe de clarifier les facteurs de protection, les facteurs de risques, les événements déclencheurs, mais aussi les mécanismes cognitifs et émotionnels qui contribuent au risque suicidaire chez les personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle. Dans son modèle révisé, l’équipe a souhaité mettre l’emphase sur l’importance des relations et des expériences sociales positives, en tant que facteur de protection. L’idée est qu’il ne suffit pas d’être entouré, mais d’être bien entouré. Ainsi, une personne qui entretient des relations positives avec ces proches présente moins de comportements suicidaires.
Si l’équipe cherchait à mieux comprendre les facteurs de risques, c’est aussi dans l’optique de réduire les risques d’un autre épisode à long terme. « On souhaitait comprendre le cycle, le « cercle vicieux », qui font que trop souvent les personnes choisissent l’option du suicide… », explique la chercheuse. Un cycle qui s’avère courant chez les personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle. « Ces personnes ont des idéations, des comportements ou des tentatives de manière récurrente. Ce qui m’a le plus choqué dans ce projet, c’est l’ampleur de cette récurrence. Nous n’avons pas réussi à trouver suffisamment d’usagers qui n’ont jamais eu d’idées suicidaires par le passé. Nous souhaitions les comparer aux autres participants. Ça en dit long…», souligne Cécile Bardon.
Une accumulation de problèmes
Pour briser le cycle, l’équipe devait identifier les risques avec beaucoup de soin. « Ce qui différencie ces personnes du reste de la population, ce ne sont pas tant les facteurs de risques que le cumul de ces facteurs », explique la chercheuse. Par exemple, une personne ayant une déficience intellectuelle peut vivre de l’intimidation, avoir des problèmes de santé mentale, avoir des problèmes de comportement, avoir été victime d’abus, en plus de détenir des aptitudes limitées en résolution de problèmes. « Cette accumulation, qui est vraiment fréquente chez ces personnes, c’est la recette parfaite pour engendrer de la détresse et des idées suicidaires », mentionne-t-elle.
Cette accumulation, la chercheuse et son équipe la remarquent aussi en ce qui concerne les événements déclencheurs de comportements suicidaires. Les comportements surviennent au fil du temps, à force que les personnes soient confrontées à des difficultés ou à des événements imprévus. « C’est une accumulation d’événements, souvent mineurs, comme de ne pas avoir pu fumer sa cigarette ou d’avoir obtenu une mauvaise note », explique la chercheuse. Comme ces événements paraissent anodins, on a tendance à moins les prendre au sérieux. « Trop souvent, on est à la recherche de « la cause ». On oublie alors un élément important : ces pertes de contrôle, ces échecs, ces critiques, ces refus, elles les vivent à répétition », précise-t-elle. Ce phénomène, que la chercheuse nomme détérioration progressive, est vraiment particulier aux personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle.
Tous ces constats, la chercheuse les a rapidement intégrés dans le modèle du risque suicidaire et le processus AUDIS pour permettre aux intervenants d’être le plus à jour possible. Elle souhaite maintenant évaluer l’efficacité du processus AUDIS. Vous pouvez jeter un coup d’œil au modèle révisé dans le webinaire suivant : https://vimeo.com/908723785
À plus long terme, Cécile Bardon souhaite se pencher sur la collaboration entre le réseau de la santé et le milieu communautaire. « Les personnes à risque sont partout. Elles font souvent appel aux Centres de prévention du suicide. Je pense qu’on doit s’entraider pour apprendre ensemble et, surtout, pour ne pas en échapper… », lance-t-elle. La chercheuse ne manque pas d’idées de projets pour la suite. C’est que les besoins sont nombreux et l’enjeu est de taille. On parle ici de sauver des vies.
Pour en apprendre plus sur le processus AUDIS et les travaux de la chercheuse, consultez le site AUDIS : https://ditsasuicide.ca/